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Diablo Cody & Ellen Page - Interview !
Légères et onctueuses





Diablo Cody - scénariste - et Ellen Page - actrice - pourraient jouer la mère et la fille sans qu?on s?en rende compte. Aussi minuscule par la taille qu?elle rayonne de bonheur en évoquant Juno, Ellen Page batifole d?extase. Assumant de son côté avec une légèreté mutine l?adulation dont elle fait l?objet dans le petit cercle des grands pontes d?Hollywood, Diablo séduit, aguiche et répand le souffre partout autour d?elle. Retour sur une trop courte rencontre sous l?emprise, le charme et l?esprit soniques de Diablo, féministe sulfureuse à mi-chemin entre Louise Brooks et Bettie Page.

Quel est à toutes deux votre rapport avec ce personnage de Juno ?

Ellen Page : Quand j?ai lu le script pour la première fois, j?en suis tout simplement tombée amoureuse. D?abord parce que c?est un des meilleurs scénarios qui me soit tombé dans les mains. Ensuite parce que le personnage de Juno, son côté unique, à part, honnête, sincère, ne devant rien à personne me plaît beaucoup. En plus, elle détonne complètement par rapport à l?image qu?on a en général au cinéma des jeunes ados. Pour une fois, on a l?impression d?être dans la réalité, je trouve.

Diablo Cody : Il y a beaucoup de moi en Juno. Et même si le script n?est pas autobiographique, Juno est très proche de moi quand j?étais ado. Beaucoup des relations que l?on voit dans le film sont directement liées à ma vie d?alors. En écrivant le script, j?ai d?abord pensé faire de Juno mon alter ego et c?est ensuite que le projet a évolué de lui-même, lorsque Ellen et Jason [Reiman, le réalisateur, ndlr] sont arrivés. Le personnage est alors devenu plus composite, et il reflète le point de vue et les expériences de différentes personnes. Ce que je voulais absolument, ce sont des ados avec de la substance. Des jeunes intelligents, sensibles, curieux. C?est l?idée que j?ai gardée de mon adolescence. D?ailleurs, tous mes amis mais étaient comme ça, donc j?ai d?abord voulu mettre en avant ce type de personnages-là.

Que dire sur la bande-son du film, très en phase avec les personnages et l?atmosphère douce-amère du film ?

Diablo : J?aimerais beaucoup avoir eu un rôle à jouer dans ces morceaux. Au départ, j?avais inséré quelques chansons à l?intérieur du scénario, mais Jason avait une idée assez précise de ce qu?il voulait. C?est vrai que certains morceaux, dont celui des Moldy Peaches, que j?aime beaucoup, capturent parfaitement l?esprit du film et des personnages.

Ellen : Dès nos deux ou trois premières rencontres, Jason m?a assez vite demandé quel type de musique je pensais que Juno écouterait, j?ai tout de suite pensé aux Moldy Peaches. Quelques jours après il était en contact avec eux et deux semaines après je me rends compte qu?une de mes chansons préférées au monde [Anyone else but you, ndlr] se trouve dans le film. C?était assez génial, un peu incroyable, en fait.

Les rares critiques qu?on vous fait concernent vos dialogues, censés être plus intelligents que vos personnages. Qu?en pensez-vous ?

Diablo : Quand j?ai commencé à écrire le scénario, je ne voulais pas particulièrement de dialogues très stylisés. Au contraire, je pensais faire quelque chose de plutôt naturaliste. Ce n?est que maintenant, lorsque j?entends les réactions des scénaristes, des critiques, que je m?aperçois que les gens trouvent certains échanges sur-écrits, hyper-facétieux, pleins d?humour, etc. Je ne sais pas. J?ai l?impression d?avoir toujours eu un rapport passionné à la langue, au vernaculaire, aux différentes manières qu?ont les gens provenant des sous-cultures de communiquer entre eux. J?ai essayé de ramener un peu de cette passion dans le scénario, je crois. Mais à aucun moment je n?ai eu comme ça une espèce de prétention démentielle à vouloir réinventer la langue, non. C?est d?ailleurs plutôt surprenant pour moi de voir que les gens réagissent ainsi par rapport à ces dialogues.

Quel est votre rapport aux films d?horreur ?

Diablo : Je suis une fan absolue de films d?horreur. C?est le genre que je préfère au cinéma, d?où le côté un peu bizarre d?écrire une comédie pour mon premier script. J?ai inséré la discussion à propos de Dario Argento et Herschell G. Lewis en hommage à ces deux cinéastes que j?adore. Quand j?ai vu Mother of tears au festival de Toronto j?étais aux anges de découvrir Dario Argento dans le public. Il est vraiment incroyable.

Ellen : Moi, c?est pas vraiment mon truc. Même si j?aime beaucoup The Shining ou Rosemary?s Baby, je crois que ça s?arrête là. Mais pour revenir au film, c?est vrai que de lire un script et de tomber complètement amoureuse d?un tel projet est en soi génial. J?étais obsédée par ce rôle, je voulais absolument jouer Juno et je l?ai pris comme une sorte d?énorme cadeau complètement dingue. Lorsque ensuite on fait le film, que ça devient une expérience merveilleuse, et qu?en plus le public aime le film. Waouh ! C?est un tel cadeau ! Et puis d?autres trucs se passent autour de toi et il faut prendre tout ça pas à pas, sans s?affoler. Je veux juste continuer à tourner moi, c?est tout. J?aime jouer, voilà.

Le fait d?avoir Jason Bateman et Michael Cera réunis ensemble dans Juno, où ils se croisent à peine, alors qu?ils sont pères et fils dans la série Les nouveaux pauvres, fonctionne assez bien, de manière décalée, surprenante.

Il se trouve que je suis une grande fan des Nouveaux Pauvres. C?est pas loin d?être la meilleure série que j?ai jamais vue donc déjà, j?étais heureuse de tourner avec Michael Cera. Jason Bateman n?est venu que plus tard, un peu à la dernière minute en fait. Et ils sont tous les deux tellement talentueux que ça a été un régal. Michael est une des personnes les plus gentilles que j?ai jamais rencontrées, quelqu?un de très sincère, vraiment merveilleux. C?était assez à contre-emploi de le voir dans un rôle comme ça très passif, mais il est d?une telle honnêteté que son jeu fonctionne parfaitement, je trouve.

Diablo : Moi, j?aime juste les hommes passifs (rires)

Travailler sur le plateau et pendant le tournage avec le réalisateur est quelque chose d?assez peu courant dans l?industrie, non ?

Diablo : C?est il est vrai extrêmement rare pour le scénariste de travailler de manière aussi proche avec le réalisateur. Je lui suis complètement reconnaissante, parce qu?il a souvent été de mon côté durant ces modifs. Beaucoup de scénaristes que je connais n?ont même pas le droit d?approcher du plateau pendant le tournage. Alors que pour Juno, Jason venait me voir , il me posait des questions et je pouvais être amenée à corriger certaines répliques sur le pouce, ce qui est vraiment une manière incroyable de travailler, très réactive, extrêmement stimulante. Alors peut-être que cela ne se reproduira jamais plus, mais je dois reconnaître que ça a été une expérience assez extraordinaire.

Par rapport aux grosses comédies américaines arrivées sur les écrans ces derniers mois - Ben Stiller, les frères Farrelly, Judd Appatow, etc. - votre humour est à la fois beaucoup plus subtile et tendre à la fois. Ce côté tendre mais très décalé est plus proche d?un univers canadiens que des Américains, non ?

Diablo : C?est bizarre que vous disiez cela. D?abord parce que je suis Américaine, et quand j?ai écrit le scénario, je n?ai jamais pensé qu?il pourrait y avoir cette tonalité si particulière, cette canadian touch que le film possède, c?est vrai. Il se trouve qu?on a tourné Juno au Canada, qu?Ellen, Michael et Jason sont tous trois Canadiens. C?est d?autant plus vrai que je viens du Minnesota, un état qui par sa proximité avec la frontière canadienne, se trouve un peu sur une ligne d?entre-deux, où on ne peut pas vraiment parler de double-culture, mais d?une relation assez étrange. Bref, cette vibration-là était assez sensible, c?est vrai.

Ellen : Le Canada a une vibe ?

Diablo : Je pense, oui.

Ellen : Bon, ok, alors. C?est là que j?habite.

Le film se déroule en réalité à Minneapolis, c?est à dire une ville plutôt à gauche pour l?Amérique, même si c?est à mettre en perspective par rapport à l?Europe. Je pense que la manière dont les gens réagissent face à la grossesse de Juno dans le film correspond plus ou moins à ce qu?on peut voir dans la société américaine d?aujourd?hui. L?idée qu?on trouve en général dans les médias se limite à dire que les parents sont trop permissifs, trop compréhensifs. Je voulais dépasser cette image figée pour aller voir derrière.

Avec des personnages comme Juno et sa belle-mère, vous allez à contre-courant des stéréotypes véhiculés par le cinéma mainstream. Le féminisme attaque dur ?

Diablo : Yeah ! C?est vrai que les belle-mères et tout ce qui a trait à la belle-famille en général sont toujours connotés de manière extrêmement négative aux Etats-Unis. La belle-mère est systématiquement dans le camp des vilains méchants au cinéma. Alors sans doute est-ce du au fait que je suis moi-même belle-mère d?une petite fille de huit ans et demi, mais je ne me vois pas particulièrement diabolique (rires). C?était donc extrêmement important pour moi de créer un personnage apportant de l?amour, du soutien, de la tendresse, et qui soit une belle-mère par ailleurs. Allison [Janney] et J.K [Simmons] ont parfaitement incarné ces deux rôles de gentils, mais pas une gentillesse de décor, superficielle. Au contraire, quelque chose de très ancré dans le réel.

Ellen : C?est vrai que tout le film repose sur un esprit d?ouverture, une bienveillance de fond qui sonne juste, ce soutien indéfectible qu?elle reçoit de ses parents est assez extraordinaire. C?est aussi pour ça que Juno est à la fois indépendante, vivante, et que sa personnalité est si rayonnante. C?est sûr que si elle avait été rejetée, flanquée dehors, on aurait eu un film complètement différent évidemment.

La dynamique des corps, du va et vient entre distance et proximité fonctionne particulièrement bien entre Ellen et Michael. On a l?impression que vous faites très attention à l?image que vous allez donner d?eux, comme si il y avait chez vous un devoir, une responsabilité à être juste dans le regard porté sur ces jeunes freaks, ceux qui se tiennent juste au bord de la marge.

Diablo : Absolument, oui. J?ai senti cette responsabilité à partir du moment où j?ai commencé à écrire le scénario. Je me suis moi-même toujours senti un peu à l?écart, en outsider, et si ces personnages sont atypiques au cinéma, ils ne le sont pas du tout en réalité. Ce que je veux dire, c?est que le cinéma mainstream américain est quand même bourré de caricatures. Cela déborde de tous les côtés. Je vais prendre ma panoplie de féministe mais c?est vrai que les personnages féminins sont encore plus ciblés. Les femmes répondent encore aujourd?hui à des stéréotypes confondants de nullité. C?était donc essentiel pour moi de représenter aussi fidèlement que possible cette autre partie de la société américaine, ceux qui ne sont pas forcément visibles au cinéma, alors qu?ils ont pourtant des histoires fascinantes à raconter.

En quoi le fait de venir de la culture blog a t-il modifié votre rapport à l?écriture du scénario ?

Juno est mon premier script et c?est vrai que je viens de la culture blog. J?ai été découverte comme blogueuse [1], ce qui est très inhabituel pour une scénariste. Je n?ai jamais étudié l?écriture en tant que telle, ni fait d?études spécifiquement liées à mon envie d?écrire. C?est simplement quelque chose que j?ai toujours fait pour moi, pour me construire. Le fait que cela devienne un vrai job, c?est quelque chose d?assez magique, de merveilleux. Une sorte de fantasme réalisé, disons. Quant à la culture blog, ça reste encore aujourd?hui une ressource incroyable pour tous les gens qui écrivent et qui ne sont pas connus, pas publiés. Sans bloguer, ils pourraient rester indéfiniment dans la marge de la culture pop. L?auto-publication est une révélation (rires).

Vous réussissez très bien à mêler dans l?intrigue principale une sorte de flottement, de laisser-aller, de mélancolie adolescente très juste. Comment avez-vous travaillé la structure, la composition du film ? Et sur quoi travaillez-vous en ce moment ?

Je n?ai pas pensé particulièrement en termes de structure, parce que je n?ai jamais étudié ça en particulier. Je n?ai pas lu de bouquins, je n?ai jamais cherché à découvrir des ficelles, des recettes. C?est peut-être un de ces cas où le fait justement de ne pas savoir s?avère au final positif. C?est pour ça que le film se déroule, se déplie de manière pas tout à fait conventionnelle.

Le fait que ça ait marché est d?ailleurs un peu choquant, non ? En général, l?ignorance est rarement une qualité : ça amène plutôt du côté de la ruine (rires). Moi, la ruine me réussit (rires). En ce qui concerne les projets, je viens de finir un film d?horreur pour la Fox [Jennifer?s body, qui devrait être réalisé par Karyn Kusama, ndlr], et je travaille sur une série avec Spielberg [The United States of Tara, ndlr], quelque chose de complètement inattendu et de merveilleux que je n?imaginais même pas - en rêve ou en cauchemar - réaliser un jour.

Comment gérez-vous l?hystérie médiatique dont vous faites l?objet ? La fascination people pour la good-girl-gone-bad que vous incarnez vous agace-t-elle ? Comment gérez-vous ce rapport au passé, le strip, etc ?

Le fait que tout le monde se rue sur vous parce que vous avez eu un vécu sexuel qui aguiche la curiosité ne me pose pas de problème en soi. Maintenant, il faut faire la part des choses. C?était une source de revenu dans une industrie, celle du sexe. Et le voyeurisme ne me surprend pas, même s?il est un peu écœurant à la longue. Candy Girl [2] raconte cette expérience. Pour le reste, je ne vois pas trop comment je pourrais me plaindre. La vie avance pour les go-getter girls !


Propos recueillis par Stéphane Mas

[1] The pussy ranch, excellent blog ces trois dernières années, s?est peu à peu vidé de sa substance acidulée depuis le succès de Diablo du côté d?Hollywood.

[2] Diablo Cody, a publié Candy Girl, A year in the life of an unlikely stripper, sur son bout de vie passé entre Minnéapolis et Chicago dans l?univers glossy glauque des bars lap dance, clubs et autres cabines de streaptease pour mâles éructants en manque de puissance. Un récit d?une prose très blog à découvrir en v.o.


 

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