Art | Bien profond | Ciné | Livres | Musik | Liens



Peindre ou faire l?amour - Arnaud et Jean Marie Larrieu
Désir et passion beurre - la parole morte





Comment pimenter son dimanche ? Voir ce film avec d?un côté vos voisins, de l?autre votre cop(a)in(e), et prendre garde à bien scruter leur regard sur la fin. Quitte ou double. Une envie subite de faire l?amour à quatre vous saisit et se réalise dans l?instant, ou l?enlisement d?un dîner laborieux, chacun s?essayant à la fuite devant le sujet du film - désir et sentiment amoureux dans un couple établi. Un beau sujet, de très bons cinéastes, pour un film qui à force de douceur finit complètement empâté.

Peindre ou faire l?amour fait partie de ces films que l?on voudrait tellement aimer qu?on est presque gêné de les voir bêtement sombrer. D?abord parce que ses réalisateurs, par leur travail sur l?image et leur sujet, sont des cinéastes d?aujourd?hui. Le cadre d?Arnaud Larrieu, la lumière de Christophe Beaucarne, les décors, tout presque est admirable.

Première surprise au vu de leur passé de documentaristes animalier, c?est moins le regard sur la nature que le traitement de la ville et des intérieurs, qui chez les frères Larrieu, impressionne : les brèves scènes tournées à Grenoble, le tram, la chambre d?hôtel, le dîner mais aussi d?autres scènes du Vercors à la limite de la sous exposition, jusqu?aux scènes de noir complet, manifestent un véritable discours sur la lumière en symbiose avec les personnages. Un film où la lumière, le temps, la parole se dilatent à mesure, laissant tout l?espace libéré au silence, aux sensations, aux affects.

Pourquoi ensuite parler de casting idéal ? Daniel Auteuil et Sabine Azéma incarnent à merveille l?image que l?on se fait d?eux : des gens riches (la moindre des choses), biens sous tous rapports, plus tout jeunes mais très modernes, et dont la fille, qui vient d?obtenir une résidence en architecture à la villa Medicis, projette de se marier à un brésilien.

Le bourgeois serait-il tendance ? Ils aiment le vin, l?art et la nature, poussant même la caricature jusqu?à pratiquer le golf. Chargés, donc. Quant au couple voisin/ami/amant constitué de Sergi Lopez et Amira Casar, il tient de la même veine. Un aveugle épicurien poète (oui, c?est beaucoup) mêlant chair et instants fragiles auprès de sa très belle et troublante épouse, pour un double tandem qui hésite, avance, recule, se confond très souvent de politesses, puis finit par s?aimer.

C?est très beau, l?amour, à deux, à quatre, à quinze, très beau, vraiment. Pareil pour la tendresse. Le problème, c?est qu?à force de vouloir nous rendre sympathiques leurs personnages, les frères Larrieu parviennent à l?inverse opposé. Quand bien même, filant la charge bourgeoise, on avait cru d?abord à l?ironie dans le choix des prénoms (William, Madeleine, Adam et Eva), difficile d?avaler le reste sans s?étrangler un peu. Au final, cette femme d?entreprise peintre à ses heures perdues et son mari au seuil de la retraite ne sachant toujours pas réchauffer un plat, que sont-ils sinon leur propre caricature de coquilles vides catapultées dans un Vercors de rurbains ?

Harcèlement soft et passion beurre.

Après l?incendie d?une de leur maison, la cohabitation forcée des deux couples fait pourtant décoller le film dans ce qu?il réussit le mieux : cette manière oblique de montrer la séduction à l?œuvre, soit chez Sergi Lopez ce harcèlement soft du corps doublé d?une voix à l?assurance fragile, presque aussi désarmante que celle de Michael Lonsdale. De même, les frères Larrieu filment très bien ce mouvement qu?on les corps de glisser l?un vers l?autre en toute autonomie, sans le moindre contrôle de la part de ceux qui les habitent. Les aveugles bien sûr ont tous les yeux ouverts. Madeleine et William ne comprennent pas, n?acceptent pas, rejettent leur désir avant d?y succomber enfin. Et de vivre un bonheur sage, décomplexé, tendre et mou comme du beurre.

Reproduire à quatre modèle et routine usés d?une fusion à deux, quand bien même à Wallis et Futuna, s?annonce vite en impasse. Que se passe t-il après, quand advient donc la parole ? Le film n?en dira rien, se contentant sur sa dernière partie de montrer l?échangisme tendance fade - consommable sur place, ou bien à emporter. En filmant ce désir malgré soi, ce désir qui vous prend pour ne plus vous lâcher, les frères Larrieu tenaient un sujet d?angle. A deux seulement, la mort est lente. Il faut y mettre un tiers, une cale du dehors pour ne pas étouffer. Dommage qu?ici le corps soit aux dépens des mots.

En faisant la part belle au non-dit, les cinéastes évitent de remplir une parole. Du titre même du film jusqu?aux platitudes doucereuses d?Adam/Sergi Lopez, on s?aperçoit soudain que personne ne parle vraiment à quelqu?un d?autre. On habille, on décore, on s?appelle, mais les mots restent vides, témoins d?une parole morte.

Le paradoxe est troublant. Les Frères Larrieu réussissent parfois à saisir ce que nombre de films échouent ne serait-ce qu?à approcher. Ces lots de petits riens dont Nathalie Sarraute a si bien dans ses textes recueilli l?empreinte diffuse ; ce fragile équilibre qui précède une pensée, un mot, un mouvement du corps, ce qui, au fond, appartient encore au silence, juste avant d?être transformé en événement. Une vision tactile de l?existence, comme la très belle traversée de la forêt dans le noir.

Comment peut-on, au sein d?une telle finesse, laisser des personnages, au seuil de la caricature, débiter des dialogues souvent catastrophiques constitue donc le véritable mystère de cette chambre verte. Une vision du couple naïve ou utopique à laquelle on peut préférer le Marie-Jo et ses deux amants de Guédidian et sa beauté autrement plus âpre.


Stéphane Mas