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dEUS - Pocket Revolution
Faut-il brûler dEUS ?





Qui faut-il incriminer lorsque, à l’aube d’un quatrième album, passe le fantôme exsangue d’une bande de révolutionnaires repus ? Retour en forme d’échec programmé pour les Anversois de dEUS qui, chargés d’un passé insurmontable, rassemblent les braises d’un feu déjà passablement consumées sur la précédente livraison. Reste un savoir-faire tristement homogène, parfois électrisant, souvent tiède, en forme d’enterrement en grandes pompes pour ceux qui ont inscrit la Belgique sur la carte des cyclones meurtriers.

Retour vers le futur

Pocket Revolution est un bon album rock. C’est là toute son ambiguité. Il se hisse aisément à la hauteur de tous ses concurrents du moment et s’inscrit parfaitement dans la nouvelle vague rock, qu’elle vienne de Belgique, de Grande-Bretagne ou des Etats-Unis. Si les déboires de dEUS ont plongé le groupe dans un silence radio pendant près de cinq années, c’est aussi le temps qu’il a fallu à Tom Barman pour recalcifier une formation où engueulades et antagonismes avaient fini par faire leur oeuvre. Stef Kamil Carlens parti créer ses Zita Swoon, on n’en retrouve pas moins une organisation à cinq branches qui fait toujours la part belle aux guitares. Le titre introductif de l’album est d’ailleurs là pour le rappeler : décharge électrique sous haute tension qui monte en puissance tout au long des 7 minutes incandescentes d’une mise au point très ordonnée.

On pense forcément, au passage, que l’école belge a les oreilles grandes ouvertes et le brûlot de Ghinzu vient hanter cette première piste comme un fantôme revanchard dans un manoir trop longtemps désert. Ghinzu/dEUS, en 2005, qu’en est-il du rapport maître/élève, de l’héritage d’un voltage apparu justement avec dEUS en 1994 avec le Worst Case Scenario ? Comment Deus peut-il trouver sa place sur une scène rock à la vitalité et la diversité décuplées ? Se pose la question fatidique et angoissante du retour des guerriers qui échapperaient, au choix, à la redite ou à la sclérose. Dix ans d’activité dans un milieu où la plupart des groupes ne réussissent que le temps d’un ou deux albums estampillés NME, les cendres sont-elles toujours vivaces ?

D’autres interrogations taraudent immanquablement à l’occasion d’un retour programmé et tambouriné à grands coups de unes élogieuses chez les prescripteurs culturels hexagonaux. dEUS revient parmi les siens, et ce sera forcément un événement. Le trentenaire aguerri, fatigué de voir défiler sur ses platines des jeunes pousses aussi indisciplinées que, parfois, standardisées, tient enfin sa vengeance. dEUS se présente pour mettre les pendules à l’heure et rétablir l’échelle sismique au paroxysme qu’elle atteignait dans les années 1990.

Evénement forcément, en regard de la pointe de nostalgie ambiante envahissant tous ceux qui se sont arraché les oreilles sur les meilleurs albums rock continentaux que furent Worst Case Scenario et In a Bar, Under the Sea. Et l’on se réjouit de constater qu’effectivement, la magie et la folie sont à nouveau présentes dès If you don’t get what you want qui concentre à la fois une énergie de mort la faim revanchard, des guitares acérées et stratifiées qui luttent pour tenir le haut du pavé, une voix velléitaire mettant les cordes vocales à rude épreuve sur un exercice tendu et ramassé en trois minutes chrono. On se rassure, les poils dressés comme autant de flèches prêtes à terrasser la concurrence.

Fumigènes et pétards mouillés

Anvers tout entière doit encore trembler après le pilonnage en règle d’une basse vrombissante sur Nightshopping entraînant derrière elle la cohorte des cordes bien frappées au sein d’une mélodie aussi minimale qu’efficace. Du boulot de professionnel, somme toute. L’essai beaucoup plus chaotique qui prolonge les opérations, Cold Sun of Circumstance, vient s’acharner à démontrer que le groupe lorgne toujours vers cette énergie punk à l’œuvre dans les précédents exercices, beaucoup plus rare sur Pocket Revolution, aguicheuse, mais moins aboutie. A quand le coup de grâce ? Il ne faut pas trop attendre et se précipiter sur Sun Ra, tour de force qui réunit tous les ingrédients propres à l’exception belge : compositions versatiles, mutantes et enragées, polyrythmie et boucles de samples comme autant de névroses ressassées et ici jetées en pâture à qui veut bien les encaisser.

Héros fatigués : le complexe du vieux guerrier sur le retour

Si l’on fait les comptes à la fin de ce quatrième round, les combattants sont-ils toujours debout ? Sur les douze titres que compte l’album, seuls deux se hissent réellement à la hauteur de la révolution annoncée. Pioche en main, on attend toujours le combat au corps à corps, duquel on ne souhaite secrètement sortir que terrassé. Mais autant le dire, le sang et la fièvre ne jaillissent que rarement de cette confrontation. Petit coup d’œil à la chronologie du champ de bataille.

La déception pointait déjà après The Ideal Crash le bien nommé. La sensation d’un rock assagi et plus mainstream constituait l’impression la plus prégnante à l’écoute. Compositions carrées et sans surprise, voix assagies, penchant pour une pop sucrée versant parfois dans la mièvrerie caractérisée, il fallait ravaler sa soif d’en découdre et poser ses fesses dans un Chesterfield confortable, une tisane et au lit. Un comble pour ceux qui avaient mis l’appartement à sac pour leurs premières visites. Si les ballades les plus venimeuses - Magic Hour, Nothing Really Ends - de ces deux derniers albums, finalement assez comparables, parviennent à nous faire ingurgiter un dernier cognac, elles rappellent surtout que dEUS était maître dans ce genre de compositions désarmantes et d’une beauté à couper au couteau sur Serpentine ou Via. De la difficulté à retrouver ce dépouillement-là, cette sensibilité, cette angoisse devant le champ de bataille dévasté.

Mais la cassure est encore plus nette lorsqu’il s’agit de retrouver l’identité profonde de ceux qui avaient mis le feu aux poudres. Où sont passées les intros déglinguées et accrocheuses de Fell Off The Floor, Man ou de Theme From Turnpike ? Et les agressions en règle de flots métalliques aussi saillants que bondissants ? Quid des éructations de bête sauvage de Tom Barman qui affirme pourtant pouvoir faire ce qu’il veut de sa voix aujourd’hui, perdue l’animalité cathartique des débuts ? Où sont les instrumentations hybrides qui faisaient se côtoyer des cuivres agonisants, des synthés feu follet et des violons hystériques ? Perdue aussi l’originalité de titres à géométrie variable comme Little Arythmetics, les rebondissements, virages à 90 °C, tête à queue et sorties de routes catastrophiques...Et les orchestrations tentaculaires organisant le crescendo en art de vivre, doit-on les laisser aux chiens de soupe catégorie Muse ?

Décidément, il ne fait pas bon se pencher sur le casier judiciaire de groupes qui se sont livrés aux pires exactions d’un militantisme bagarreur et bigarré. Et le gouffre qui sépare l’activisme de la rédemption laisse le corps affamé et les têtes se perdrent en conjectures sur l’antinomie qu’il y a à proclamer la révolution permanente. Comme le clame Tom Barman à la fin de son album de poche, Nothing Really Ends, mais que la transition nous laisse parfois hagards. Remisez les antipoisons, les roses ne piquent plus.


Guillaume Bozonnet


 

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